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Corse : La galette des Rois face au défi de la vie chère


Paule Cournet le Jeudi 4 Janvier 2024 à 20:27

Alors que l’inflation repart à la hausse et que les prix des matières premières, comme le beurre, ne cessent d’augmenter, les artisans se battent pour maintenir la tradition et la qualité de leurs productions. Inquiets pour l’avenir, ils tirent déjà la sonnette d’alarme.



Marc Ventura et une partie de son équipe qui revendiquent un savoir-faire artisanal et des produits de qualité.
Marc Ventura et une partie de son équipe qui revendiquent un savoir-faire artisanal et des produits de qualité.
Leur métier est une fête, une passion, un goût du partage. Préparer à manger pour les autres, surtout dans nos sociétés méditerranéennes, est un acte d’amour, un don de soi. Ce n’est pas Marc Ventura, boulanger-pâtissier à Bastia et à Pietranera et président, par ailleurs, du Syndicat de la boulangerie-pâtisserie de Corse, qui dira le contraire. Il n’y a qu’à le regarder faire tournoyer la pâte des galettes qu’il s’apprête à garnir pour s’en convaincre.
A peine sorti du rush de Noël et du Réveillon du Nouvel An, voilà que pointe l’heure des galettes des Rois, cet incontournable rendez-vous gourmand de la nouvelle année qui nous accompagne, immanquablement,  depuis l’enfance. Une Madeleine de Proust, pour les papilles et pour le cœur. Qui n’a pas un souvenir, en famille, de luttes fratricides pour trouver la fève, remporter la couronne et devenir la reine ou le roi de la tablée ? Quel parent n’a pas grugé pour que le petit dernier déniche la précieuse figurine et qu’il cesse de pleurer ? En résumé, la galette des Rois, c’est un petit moment précieux de nos vies, un goût d’enfance enfoui qui ne demande qu’à éclore chaque année.
Une tradition, dont le coût tend à se faire de plus en plus lourd ces dernières années. « Il y a une baisse significative des achats, confirme ce professionnel aguerri, car la vie a tendance à devenir de plus en plus chère. Le prix du beurre par exemple a été multiplié par 2 et demi ; aujourd’hui, un kilo revient à 12,80 euros ! ». Selon ses estimations, la production de galettes aurait été divisée par deux au cours des 15 dernières années.
Dans ces conditions et face à une situation économique compliquée, difficile en effet de pouvoir descendre sous un certain prix de vente quand on entend, comme Marc Ventura, continuer à proposer des produits de qualité. « Nous n’utilisons que des matières nobles. Même les confits sont faits maison, c’est un travail de dingue, insiste l’artisan en vous faisant sentir les citrons, non traités, qu’il utilisera pour ses brioches des Rois, et dont l’effluve vous transporte immédiatement sous un ciel d’azur. Sans parler du temps que cela prend ! Il faut compter quatre jours pour arriver à la cuisson. Il faut deux journées entières au tourier (personne qui prépare et fabrique les pâtes, Ndlr)  pour le tourage ».

Défendre le savoir-faire artisanal

Pour confectionner une galette, il faut de la précision mais aussi de la patience et le goût du partage.
Pour confectionner une galette, il faut de la précision mais aussi de la patience et le goût du partage.
Concentré, l’ouvrier en charge de la préparation de la pâte feuilletée étale et replie la pâte sur elle-même, avant de la laisser reposer, puis de réitérer l’opération plusieurs fois. Une fois détaillée, il s’agira de s’atteler au montage et au remplissage avec la frangipane. Ainsi, les préparatifs de la saison des Rois commencent déjà entre Noël et le Jour de l’An. « Ça se mérite », plaisante à moitié Marc Ventura qui défend bec et ongles le savoir-faire de sa production artisanale.
« Nous sommes mis en concurrence avec la grande distribution, mais soyons sérieux ! Nous ne proposons pas le même produit. Sans même évoquer la question de la qualité avec du beurre qui n’est pas du beurre, mais un arôme, ou de la pâte d’amande qui est de la brisure de coques de noix ou de noyaux d’olives, les gens se font avoir même sur la quantité : une galette de 8 à 10 personnes en grande surface que vous allez payer dans les 15 à 16 euros, elle pèse de 450 à 500 grammes. A 30 euros chez moi, elle pèse dans les 1,2 kg », s’exclame-t-il avant d’ouvrir le débat sur la survie d’une profession malmenée et qui se sent abandonnée.
« On se tape toutes les hausses, on a des charges à n’en plus finir, nous sommes harcelés par des contrôles et des contraintes en tout genre. Si ça continue, il ne restera plus que des gros groupes avec de grands centres de production, et les petits artisans nous serons voués à disparaître », fait-il remarquer avec la ferme intention de défendre, encore plus qu’une façon de travailler, une certaine vision de la société où se conjuguent le goût du travail et celui de l’excellence.
Fier de son équipe, il espère que les jeunes qui arrivent derrière sauront faire bouger les lignes. En attendant, il innove, il invente, se renouvelle. Les curieux apprécieront certainement la galette glacée (crème glacée à la frangipane et amande croquante ou crème glacée vanille de Madagascar bio et marbrage  nuciolla, gianduja à la noisette) quand les plus patriotes préfèreront peut-être la Nustrale, aux contours de la Corse, tâchant de deviner qui sera la reine de l’île ?

C'est en 2022 que Marc Ventura a créé la galette Nustrale. Une déclinaison de la galette classique qui remporte un joli succès.
C'est en 2022 que Marc Ventura a créé la galette Nustrale. Une déclinaison de la galette classique qui remporte un joli succès.